Une heure lumière #2

2/11/2020
Science-fiction
Graphisme des couvertures : Aurélien Police

Le Regard de Ken Liu

On suit Ruth Law, ancienne agent de police devenue détective privée, dans son enquête sur le meurtre de Mona, une simple étudiante en apparence qui vendait en secret des services sexuels haut de gamme sous le pseudo de Jasmine. Après les investigations courtes et bâclées de la police (préjugés, racisme), la mère de la jeune fille, désespérée, engage Ruth pour éclaircir cette histoire.

La détective, qui a son Régulateur allumé 23h/24, est parfaitement froide, rationnelle, calme. Ce qui la rend redoutable dans son travail, sans compter les multiples opérations illégales qu’elle a subies pour augmenter ses capacités physiques la rendant extrêmement dangereuse. Mais sous cette carapace à priori impénétrable, la jeune femme se noie volontairement dans la solitude. La technologie du Régulateur avait été mise au point pour les forces de l’ordre dans le but de les rendre plus efficaces sur le terrain, moins sujettes au doute, à la peur, aux préjugés, à l’emportement. Un outil très utile mais loin d’être anodin pour le cerveau. Cela importe peu à Ruth Law, le Régulateur est indispensable. Tel un ivrogne, elle anesthésie son esprit et s’empêche de ressentir. La raison est révélée peu à peu sous forme de flash back et je n’en dirai pas davantage sur ce point.

Il s’agit d’une novella, l'enquête est donc courte mais terriblement bien menée. Le lecteur oscille entre le point de vue de Ruth et celui du tueur. J’ai trouvé que ce dernier était brillamment exploité. Loin d’être un archétype, le Surveillant, comme il se fait appeler, est intelligent, motivé, il a suffisamment de substance pour qu’on puisse imaginer qu’un tel homme existe, et en si peu de pages c’est franchement bluffant. Ruth est à l’inverse un peu plus stéréotypée. Je parle de cette figure du flic ou ancien flic torturé qui en a trop vu et se noie dans l’alcoolisme ou autre vice pour oublier ses problèmes. Cependant Ken Liu ne donne pas dans le pathos, et le traitement du malheur généralement exagéré qu’on retrouve dans les séries est absent ici. J’ai ressenti de la sympathie et de la compassion pour le personnage de Ruth. Sa solitude est très poignante sans empiéter trop sur l’enquête. Et le thème de la rédemption soulevé ici rend la lecture agréablement cathartique. A lire !

Il me semble que Ken Liu est en passe de devenir l’un de mes auteurs préférés, le recueil de ses nouvelles dans la collection Quarante-deux du Bélial’ devrait prochainement figurer sur le blog ;)

Les Agents de Dreamland de Caitlin R. Kiernan

Ne vous attendez pas à un duo à la Mulder et Scully, comme la quatrième le laisse suggérer. Loin s’en faut ! Je ne sais pas très bien comment décrire ou résumer ce livre tellement tout est...perché, de manière tantôt géniale, tantôt déroutante. Pour donner les grandes lignes, une secte menée par Drew Standish s’installe au Moonlight Ranch. Après un bon lavage de cerveau, les cadavres de plusieurs disciples sont retrouvés là-bas dans un état encore jamais vu par les services secrets qui emploient le Signaleur, un vieil agent sur le déclin. Ces corps ont “éclos”. Si le mot évoque l’image d’une fleur, la vision du Signaleur est bien plus macabre. Son enquête consiste à retrouver Standish et découvrir l’origine du “champignon” hautement contagieux responsable de la mort de ces jeunes fanatiques. Parallèlement, la sonde New Horizons s’approche de la planète Pluton, un détail incongru mais qui a son importance.

J’avais d’abord pensé que le récit appartenait au genre horrifique mêlant quelques éléments de science-fiction. Mais apparemment il y a un nom officiel, le weird (bizarre en français). Je n’en avais jamais entendu parler, mais le nom semble assez approprié à ce que j’ai lu.

L’autrice, qui est née dans les années 1960, parsème tout le récit de références culturelles. Forcément, étant américaine et d’une tout autre génération que moi, un certain nombre de ces références n’ont pas fait tilt, c’est dommage. J’ai eu la sensation de manquer certaines clés de compréhension pour vraiment apprécier l’intégralité du texte, mais j’ai tout de même trouvé la lecture prenante et marquante. Je conseille d’être bien attentif quand vous le lirez car des éléments de réponse sont donnés au compte goutte et l’ordre des chapitres ne correspond pas à la chronologie des événements.

Vigilance de Robert Jackson Bennett

C’est fou comme ce livre m’a fait penser au film The Condemned de Scott Wiper (2007). Avant de vous précipiter, le livre est mieux, beaucoup mieux.

On est donc dans un futur sombre, très sombre de ce que pourraient devenir les Etat-Unis. Un pays sur le déclin, ravagé par les catastrophes climatiques et dont la jeunesse a fui, laissant derrière elle une population vieillissante et toujours plus aigrie.

Vigilance est le nom d’une émission bien particulière. Son principe : clôturer un espace en apparence aléatoire sans prévenir la population qui est à l’intérieur et introduire trois tireurs armés dans l’environnement. En toute légalité, ils abattent le plus de monde possible sans faire de distinctions. Si les tireurs tuent tout le monde et survivent, ils remportent un énooooorme paquet de fric et si un civil se défendant élimine l’un des tireurs, il gagne la part qui lui était destinée. 

L’émission est la plus regardée dans le pays, il s’agit d’un spectacle, un étalage de violence conçu pour plaire au plus grand nombre mais aussi entretenir la peur dans le coeur des citoyens et les pousser à acheter toutes sortes de choses, notamment des armes à feu. L’un des chefs d’orchestre de cette émission morbide est John McDean, un marketeur en herbe qui ne cesse de rivaliser d’inventivité pour augmenter son audimat.

Au fond, ce livre est un “coup de gueule”. C’est une représentation glaçante de l’Amérique d’aujourd’hui qui met un terme à l’american dream et condamne sévèrement les dérives du pays. Tout y est : racisme, néonazisme, capitalisme, dérèglement climatique avec en tête de liste le problème du port d’arme (2e amendement dans la constitution) et les fusillades de masse qui en découlent.

L’antipathie est poussée à l’extrême au sein de la population, l’Américain est devenu individualiste jusqu’au bout des ongles. La déshumanisation de la force ouvrière est quasiment terminée avec l’avènement d’IA ultra performantes. La papier a disparu au profit de la numérisation globale. Les fake news sont devenues la norme avec des images, des vidéos créées de toutes pièces mais rendues plus vraies que nature grâce à des technologies d’effets spéciaux à la pointe. La nation décrite est décrépitante et débilitante. Elle se laisse manipuler par le pouvoir sans sourciller ou détacher son regard de l’écran. 

Loin d’être caricaturale ou ridicule quand on connaît bien les médias américains (fascination pour la télé-réalité, course poursuite en voiture, True crime, bounty hunters, serial killers, bunkers de survie, etc.), le futur peint par l’auteur est tout autant effrayant qu’il pourrait bien se réaliser. Le dernier point qui m’a semblé aussi bien traité est le fossé générationnel irréconciliable, et quand on voit les buzz du Ok boomer VS millennials, on se dit qu’on n’est pas loin de cette triste scission. La réflexion de l’auteur est lucide et factuelle mais on perçoit nettement la colère sous-jacente qui anime le discours. La conclusion étant que les Etats-Unis creusent leur propre tombe. J’ai néanmoins décelé que l’auteur n’imaginait pas un futur beaucoup plus brillant pour le reste du globe.

Pour conclure, j’ai trouvé cette novella excellente à tel point qu’on aurait envie d’en citer mille passages. Mais je n’en choisis qu’un :

Souvenez-vous que les méchants seront prêts, et eux aussi auront accès à des armes remarquables comme l’AL-18.

- Vous faites très bien de nous le rappeler, Bob, merci, dit Robwright. Si ces gens avaient des armes comparables à l’AL-18, seraient-ils suffisamment préparés ? 

- Ils auraient beaucoup plus de chances de survie, Stacey. Beaucoup plus.”

Sauf que, McDean en a parfaitement conscience, vous promener en public avec un AL-18 vous faisait courir le risque qu’on croie à une Vigilance et qu’un quidame vous descende dans l’espoir de toucher les cinq millions. Ives se débrouille très bien pour supprimer les actualités consacrées à ce genre de méprises, Wayne Hogget Hopper ayant bien entendu investi des sommes énormes dans la société qui fabrique ce fusil d’assaut. Celui-ci doit absolument continuer de donner l'image d’un objet qui repousse la mort et non qui l’attire.

Je recommande fortement !

Retour à n’dau de Kij Johnson

Le lecteur est lâché dans un monde sans grand point commun avec le nôtre, dans le même cru qu’Un pont sur la brume. Les habitants de la planète sont en constant mouvement. Avancer, c’est survivre. Pourquoi ? Parce que la planète est prisonnière d’un cycle chaud-froid atteignant des extrêmes fatales pour un humain. C’est une sorte de fuite du Soleil éternelle. Le moyen de transport, le seul qui soit réellement efficace, c’est à cheval.

Le texte est très court aussi je n’en dirai pas plus par peur de gâcher le plaisir du lecteur qui suivra les mésaventures de Katia dresseuse de chiens et guérisseuse de chevaux.

Ce troisième hors série de la collection est mon tout premier. Je trouve cette couverture magnifique et j’ai beaucoup apprécié lire les témoignages des traducteurs de la collection.

May

J'ai découvert la littérature de l'imaginaire enfant en lisant des mangas (Full Metal Alchemist, Claymore, Fruit Basket, Naruto, etc.) qui me permettaient de m’évader. Puis une camarade de classe m'a un jour prêté la trilogie du Dernier souffle de Fiona MacIntoch. Ça a été la révélation ! Depuis je suis avide de lectures de l'imaginaire et plus particulièrement de fantasy qui constitue l'essentiel de ma PAL.

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