Thair - Renaissance - Jean-Luc Marcastel

21/11/2020
Science-fiction
Illustration de couverture : Lionel Marty

Résumé

Après plus de mille ans passés dans des forteresses souterraines des suites d’une bombe anti-matière qui a décimé la surface du globe, les humains ont retrouvé un mode de vie archaïque. La Terre étant devenue de nouveau habitable, des villes ont été érigées et l’humanité a pu respirer l’air pur pour la première fois depuis des générations. Mais une prophétie raconte que la catastrophe n’était que la première phase d’un plan plus sinistre encore...

Faïria, future Castalaïna (comprenez châtelaine), est réveillée en pleine nuit car des envahisseurs attaquent son thoïl (comprenez clan). Il s’agit de créatures encore jamais vues, mélange de chair et de métal, d’une force offensive létale et qui rappelle étrangement la prophétie du fléau d’Arkhen. L’heure d’une nouvelle apocalypse serait-elle venue ? A des centaines de kilomètres de là, Yaïn, jeune harponneur, ignore tout de la catastrophe en cours. En revanche, sa belle a été enlevée et il est prêt à tout pour la retrouver, car n’étant pas humaine, il sait que ses ravisseurs lui réservent un sort funeste.

Le monde de Thair

Il s’agit d’un univers riche dont on n’a qu’un petit aperçu dans le tome 1. On sent que l’auteur s’est vraiment investi dans son univers qui foisonne de détails. Une ambition à la Tolkien qui caractérise beaucoup d’auteur-trices aujourd’hui dans les genres de l’imaginaire. Le récit allie plusieurs genres : la science-fiction, la fantasy et le post-apo. Mais j’ai retrouvé davantage de codes de Fantasy et de post-apo que de science-fiction. A l’instar de Star Wars, Thair est de la soft science-fiction qui ne s’appesantit guère sur le fonctionnement de telle ou telle technologie ni de leur impact sociétal. Je l’appréhende plutôt comme un roman de post-apo lourdement influencé par les récits de fantasy qui sont eux-mêmes inspirés de l’Histoire. Jean-Luc Marcastel ayant été prof d’Histoire-géographie, cela me semble tout à fait logique qu’il puise dans ses connaissances pour nous offrir une intrigue originale mais suffisamment ancrée dans notre réalité pour que le tout nous semble crédible.

Comme je l’ai dit plus haut, les humains vivent avec les mêmes connaissances technologiques qu’au XIXe siècle. Ils ont régressé et doivent tout réapprendre. Le modèle féodal a été choisi pour instaurer un nouvel ordre mais on en sait peu encore sur le sujet. Néanmoins ils ont accès à quelques machines et intelligences artificielles datant d’avant le cataclysme même s’ils ne comprennent pas grand-chose à leur fonctionnement.

L’intrigue

On suit donc en parallèle deux destins d’un chapitre à l’autre, tel un balancier : celui de Faïria et celui de Yaïn. Tous les deux à peine sortis de l’adolescence, sont victimes du mauvais sort. A la différence que Faïria fuit ses assaillants tandis que Yaïn poursuit les ravisseurs de Naïde, sa sirénaïre. Lors de leur course effrénée, ils vont tous deux rencontrer un allié indispensable à leur survie. Bien sûr, de ces deux destins, celui de Faïria est le plus palpitant et le plus important pour le récit dans son ensemble. Dans ce premier tome, le rythme très descriptif de l’action, du monde et de l’environnement, impose une certaine lenteur au récit que je regrette. En un peu moins de 400 pages, il ne s’est même pas écoulé deux jours pour les héros… C’est aussi pour cela que cette critique sera relativement courte.

Mon avis

J’ai trouvé l’univers jusqu’ici plutôt original, l’urgence des situations respectives des héros est bien transmise au lecteur mais plusieurs choses m’ont vraiment gênée voire agacée. Si bien que mon sentiment final est largement mitigé. Il y a un potentiel énorme et j’aurais voulu lire le tome 2 mais malheureusement mon plaisir a été gâché. Je m’explique.

J’ai trouvé que le sexisme et les archétypes de genre parasitent le roman. Rien que l’introduction des deux personnages principaux en atteste. La femme est d’abord définie par sa beauté, son corps nu et le soin qu’elle apporte à sa tenue alors qu’elle se sait attaquée. A l’inverse, lorsque l’auteur introduit Yaïn dans le récit, celui-ci est un jeune harponneur agile et d’un talent rare pour tuer des craséchiers (mollusque géant). Bref, l'une est belle et coquette et l'autre performant, puissant et capable, sans qu'on en sache plus sur son physique. On fait difficilement plus genré… L’auteur martèle TOUT au long du livre à quel point Faïria est jeune et belle, à quel point elle est désirable mais aussi intouchable car, en tant que Castalaïna, elle doit rester vierge. Pour être jugée “pure” par son peuple et être élevée au rang de déesse. Comprenez perdre sa virginité, c’est perdre sa valeur. Je sais que l’auteur veut montrer que l’humanité a régressé mais, tout de même, pas un seul instant ce statut de la femme n’est remis en question... Et un monologue (page 23) vient renforcer cet état de fait. Les femmes sont réduites à leur pouvoir de séduction, basta :

« La séduction, Faïria, c'est la séduction qui donne à une femme son pouvoir. Et je ne te parle pas de beauté physique, tu n'en manques certes pas. C'est un tout : gestes, regards, attitude, voix... Tout notre corps est une machine à séduire, jusqu'à notre moindre mouvement de sourcils, notre moindre inclinaison de tête, la ligne de notre nuque... Pourquoi portons-nous les cheveux attachés ? Pour qu'ils puissent les détacher en rêve. Mais le plus important, m'entends-tu, c'est l'esprit. En dernier recours, c'est lui qui séduit, même quand tout le reste n'est plus que ruines. Un bon mot, une phrase placée au bon moment... Tu seras castalaïna, mère suprême de tes gens, leur déesse. Tu dois savoir les menacer, les gronder, les cajoler, les diriger... Mais plus que tout, quand menace et gentillesse échouent, tu dois les séduire. Hommes comme femmes, c'est tout un, Mais jamais, jamais tu ne donneras corps à leurs rêves,. Ni aux tiens. Tel est notre pouvoir..., tel est notre sacrifice. »

Et malheureusement, ça ne concerne pas que Faïria. Toutes les femmes du roman sont en priorité caractérisées par leur beauté ou leur absence de beauté, ce sont des corps, juste des corps. Cette objectification constante m’agace prodigieusement. Page 35 :

Nikaïle Mara n'était plus toute jeune. La vie et les responsabilités l'avaient usée. Mais en sa présence, même la plus charmante des jouvencelles paraissait fade et sans saveur. Elle était de ces femmes qui, arrivées au mitan de leur vie, marquées par l'existence mais pas encore flétries, semblaient se soustraire aux assauts du temps. Ses tissus n'avaient plus leur vigueur d'antan, mais la combinaison de maille corrigeait ces petites concessions aux lois de la pesanteur. Quant à ses rides, elle s'en servait comme autant d'armes pour aiguiser ses expressions. Et ce maintien, cette cambrure de danseuse, cette nuque altière sous ce chignon serré... Faïria désespérait de ne jamais les posséder.
“La plus altière et intouchable des reines, la plus aimante et tendre des mères, la plus experte, désirable et inaccessible des courtisanes. Voilà ce que nous devons être, et tout cela en même temps », lui répétait-elle à l'envi. 
Tous les hommes de ce roman...

Voilà donc tout ce qu’on sait de notre héroïne : elle est belle et elle possède une grande force de caractère mais ce n’est pas suffisant pour donner une réelle substance à un personnage…C’est un archétype.

Intéressons-nous maintenant à Yaïn. Le jeune homme tombe fou d’amour au premier regard de la belle Naïde. Oui, il est fasciné par sa beauté et sa beauté uniquement. On se croirait dans un conte de fée… Bref, il est tellement éperdu d’amour pour sa sirène qu’il ne veut plus rien faire à part passer du temps avec elle. Parler avec d’autres personnes l’insupporte de plus en plus. Il veut l’avoir pour lui seul et la cacher au monde. Une belle relation toxique en devenir, en somme. Son destin m’a bien moins intéressé que celui de Faïria. Et pour cause Nintendo l’a fait bien avant avec Mario et Princesse Peach et… eh bien, je ne sais combien de livres/films/séries/jeux avant eux. Lâchez-nous la grappe avec la damoiselle en détresse. User de cet arc narratif en 2019, c’est vraiment tendre le bâton pour se faire battre.

Et un passage m’a extrêmement choquée (page 31) :

Avec une grimace de douleur, elle tenta de libérer son bras, mais la poigne du jeune homrne, entraîné à manier jour après jour le harpon du craséchier, ne céda pas. Elle écuma, impuissante, essayant de détacher ses doigts un à un, se trémoussant comme vers à l'hameçon, sans plus de résultat.
—Qu'est-ce que j'en sais ? Qu'est-ce que j'en sais ? Je t'ai vu, imbécile ! Cela fait des semaines que tu lui rends visite tous les jours, aux vieilles ruines. Tu crois que je ne t'ai pas suivi ?
Elle marqua une pause, pour mieux préparer sa réplique, puis poursuivit, une expression de douleur convaincante sur les traits :
—En quoi ça me concerne ? Mon petit ami me trompe avec un monstre qui n'est même pas humain et tu dis que cela ne me regarde pas ?
Il eut envie de prendre soudain cette jolie tête de linotte et de la frapper sur le pavé jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il se retint pourtant, tout envahi qu'il était par une peur atroce. Pas pour lui, non [...]

Le jeune Yaïn qui est présenté comme un “gentil” qui veut sauver sa belle est en fait un dangereux psychopathe (à mes yeux) qui se retient de commettre un féminicide d’une violence extrême.  Je trouve dingue d’écrire un truc pareil en 2019 et plus encore de l’avoir publié en l’état.

Mais l’auteur ne s’arrête pas là. Page 36 Il ajoute que, parmi les pratiques de ce nouveau monde, font partie les mutilations génitales féminines, particulièrement l’infibulation (suture des lèvres du sexe) exercée sur la Castalaïna. 

Une de ces pierres, Faïria ne la possédait pas... Elle la voyait briller au front de Nikaïle Mara, pourpre et profonde. Elle la narguait, l'effrayait. Cette pierre, c'était celle du renoncement. Celle qu'une castalaïna ne recevait qu'après avoir résisté à la tentation sexuelle, sa dernière épreuve… Quand elle avait, de ses propres mains, scellé sa féminité avec un fil de platine, avant que ses secondes y apposent leur sceau pour en interdire l'accès, à jamais. En Avarnia, tel était le prix du pouvoir suprême.

Le problème, c’est que ce passage sur le sujet est le seul de tout le roman. Plus jamais on en parle en bien ou en mal, c’est lâché là l’air de rien alors que c’est un sujet très lourd et délicat à aborder. On se retrouve face un modèle étrange, la Castalaïna est une femme qui a plein pouvoir sur son peuple mais son corps est strictement contrôlé. Et on ne connaît pas les conditions de vie des autres femmes du thoïl (clan) de Faïria. Je suis donc dans le flou et ne sais que penser...

Page 41. Contre toute attente, l’auteur fait aussi du sexisme inversé… 

Elle avait gémi, cherchant à tourner la tête pour voir son aînée.
—Pourquoi moi ? Pourquoi notre thoïl ?
La réponse avait claqué, comme la pointe d'un fouet.
—Crois-tu donc que j'ai demandé cet honneur ?... Quant à notre thoil, il assume son héritage. Il faut bien que quelqu'un ait la garde de cette chose, Nous savons toutes deux qu'on ne peut la confier à un homme... Le mot « arme » est pour eux comme les mots « fesses », « sexe » ou « seins”, il les rend fous. Et si ce doit être une femme..., alors qui mieux que toi ?

MAIS page 46, il aborde aussi l’absurde pression sur la virilité subie par les hommes. Il y a du bon et du mauvais dans ce livre. C’est vraiment difficile de démêler tout ça. 

[...] glissants à vous faire basculer dans le bouillonnement des flots, que des vagues hautes comme des arbres tentent de vous arracher à votre prise, vous noient sous des tonnes d'eaux, que des craraignées géants essayent de refermer leurs pinces sur vous, il faut être chanceux ou très doué pour en réchapper. Oui, il avait fait tout cela, avait joué à tous ces jeux stupides dictés par la tyrannie d'une virilité toujours remise en jeu.

SPOILEEEEEER!!!!!!

Comme je suis lancée, je voudrais pousser mon analyse et ma critique jusqu’au bout. Si vous ne l’avez pas lu et comptez le lire, arrêtez votre lecture ici au risque de voir votre découverte gâchée.

L’arme secrète qui serait seule capable de triompher des “nodes”, ces êtres de chair et de métal, est évidemment de sexe masculin et c’est un guerrier hors pair génétiquement modifié. Il naît en quelques heures du ventre de Faïria. Comment ? Les prodiges de la science de l’ancien monde qui a été décimé plus de mille ans auparavant. Le corps de ce champion/Héros est donc tout neuf mais son esprit est celui d’un homme appartenant à la génération précédant le cataclysme. L’auteur insiste bien sur le fait que Faïria et la Sentinelle ne partagent aucun lien sur le plan génétique. Faïria, vierge, a accouché du Messi, l’homme qui est plus qu’un homme et qui doit sauver l’humanité. ça vous rappelle quelque chose ? Eh oui voilà un remake du Nouveau Testament ! 

Moi qui venais de finir Les Faucons de Raverra et me plaignais de ce cliché de la fille vierge et innocente poursuivie des assiduités du bad boy bien trop vieux pour elle, j’ai été servie, celui-là est carrément millénaire ! 

Et là le malaise s’intensifie : Marie et Jésus, oups pardon, Faïria et la Sentinelle sont attirés l’un par l’autre instentanément, un tableau incestueux et tabou se met en place. Mais pas d’inquiétude, Faïria tient à respecter les traditions de son clan en refusant toute relation sexuelle. Elle est donc le fruit défendu, la tentation… Elle est Marie et Eve à la fois… Le roman se termine là-dessus et je suis à court de patience.

C’est malheureux, mais si je suis sincèrement curieuse de la suite des événements, les éléments cités plus haut m’ont gâché le plaisir. Je ne me suis attachée à aucun personnage, même si je suis intriguée par le passé de la Sentinelle. C’est trop peu pour me donner envie d’acheter la suite.

May

J'ai découvert la littérature de l'imaginaire enfant en lisant des mangas (Full Metal Alchemist, Claymore, Fruit Basket, Naruto, etc.) qui me permettaient de m’évader. Puis une camarade de classe m'a un jour prêté la trilogie du Dernier souffle de Fiona MacIntoch. Ça a été la révélation ! Depuis je suis avide de lectures de l'imaginaire et plus particulièrement de fantasy qui constitue l'essentiel de ma PAL.

Dans le même genre

commentaires