Expiration - Ted Chiang

26/11/2023
Science-fiction

Ted Chiang est un auteur de science-fiction aujourd’hui reconnu. Il a notamment écrit “L’histoire de ta vie” (1998) qui a été adaptée au cinéma sous le titre Premier contact (2016) avec Amy Adams, Jeremy Renner et Forrest Whitaker. Ce film m’a beaucoup plu, je vous le recommande. En outre, Ted Chiang a obtenu de nombreux prix (Hugo, Locus, Nebula). Autant de raisons pour que j’achète ce recueil de nouvelles “Expiration”.

Ce livre contient neuf nouvelles d’une longueur variable. Mon ressenti a été différent à chacune d’entre elles, même si la patte de l’auteur reste la même, j’ai trouvé que chaque texte possédait une identité propre. C’est bien écrit, mais je n’ai pas décelé une plume incroyable non plus en termes de style. La force de ses textes, comme c’est souvent le cas en science-fiction, repose davantage sur le fond que la forme.

Résumés et avis

Le marchand et la porte de l’alchimie est écrit sous la forme d’un conte, c’est peut-être celui dont le style m’a le plus transportée. Cette nouvelle aborde la notion de prédestination, d’inéluctabilité, de voyage dans le temps. Fuwaad ibn Abbas passe la porte d’une boutique dont le propriétaire lui propose de voyager dans le temps. Mais Fuwaad est méfiant, aussi le marchand entreprend de lui narrer les voyages de précédents clients et c’est là que l’histoire prend un tournant intéressant. La morale de l’histoire est également bien trouvée.

Expiration est assez troublante et triste. Nous sommes dans un monde peuplé de machines humanoïdes dont le processus de pensée est extrêmement similaire au nôtre. Ici le thème central est la peur de la mort et la lutte vaine pour s’extraire de sa condition de mortel.

Ce texte ne m’a pas plus marquée que cela. J’ai trouvé qu’il manquait d’originalité. La preuve, j’en ai déjà oublié des éléments narratifs…

Ce qu’on attend de nous est un très court texte sur le libre-arbitre. Existe-t-il vraiment ? Le texte est efficace mais si court qu’il reste anecdotique.

Le cycle de vie des objets logiciels est la nouvelle la plus longue du livre et c’est aussi celle qui m’a le plus intéressée par ses thématiques. Dans ce monde qui pourrait tout à fait être notre avenir proche, les humains passent énormément de temps sur internet et dans les environnements numériques en tous genres. Nous suivons d’abord Ana qui travaillait dans un zoo avec de vrais animaux et qui a perdu son travail. Elle se retrouve à suivre une formation en programmation et trouve un travail chez Blue Gamma qui se lance dans le marché de Digimos, des animaux numériques créés à partir de génomes animaux réels.

A travers Ana, nous sentons une perte de sens dans ce monde ultra numérique. Ce que nous faisons a-t-il encore un impact, une importance si rien n’est réel ? Mais ces environnements sont-ils vraiment irréels ou au contraire n’est-ce pas simplement un autre environnement de vie dans lequel nos décisions ont autant d’importance que dans le monde réel ? Dans un monde ultra capitaliste et individualiste, les humains souhaitent posséder toujours plus et être stimulés par de la constante nouveauté . Les gens veulent donc des animaux pour les avantages mais pas les inconvénients et dans ce cas les Digimos sont parfaits. Ils peuvent les contrôler jusque dans leurs souvenirs, leur comportement, leur sommeil, etc. En bref, des “objets” à maltraiter si souhaité. Ils sont nombreux à se procurer un Digimo. On pourrait les comparer à des Tamagotchi évolués. Les Digimos sont d’abord bébés puis grandissent et évoluent en fonction de leurs interactions et apprentissages. Bien sûr, le public se lasse petit à petit, surtout lorsque les Digimos développent une personnalité propre et n’obéissent plus au doigt et à l'œil de leur propriétaire. Un petit groupe d’irréductibles décide de les garder car ils les voient comme de vrais êtres vivants. Ana considère son Digimo, Jax, comme son enfant. Derek, lui, a un attachement un peu différent mais également très fort à ses deux digimos. Il est le second protagoniste de cette histoire. Je ne vais pas en révéler trop pour ne pas gâcher le plaisir. 

Cette nouvelle aborde les droits des IA et l’anthropomorphisme. Le propos est assez similaire à Chien de guerre de Adrian Tchaikovsky. Quant à Ted Chiang, il ne prend pas partie et se contente de donner des pistes de réflexions et des opinions divergentes à travers les discours des personnages. A vous, lecteur, de décider si vous les voyez comme des êtres vivants ou comme des machines.

La nurse automatique brevetée de Dacey est une nouvelle assez glauque et brève. Elle interroge les diverses théories sur l’éducation idéale d’un enfant. Mais ici le parti pris de l’auteur est assez clair, les enfants ont besoin de chaleur humaine et d’être traités avec amour et compréhension. Sans cela nous produiront des humains froids à l’instar d’un robot…comme la nurse. Autrement dit, les enfants finissent comme ceux qui les élèvent si le cycle n’est pas brisé. Une éducation “purement rationnelle”, telle que prônée par le savant fou Dacey, est une erreur.

La vérité du fait, la vérité de l’émotion est ma seconde nouvelle préférée du recueil. Ted Chiang  interroge le colonialisme, la suprématie occidentale mais aussi l’importance de la langue orale, de ce qu’on en fait et comment cela forge des sociétés, notamment l’invention de l’écriture. Il prend l’exemple de la Bible mais j’aurais aimé qu’il aille plus loin. Car il oppose l’écriture présentée comme “immuable” et l’oral qui ne traverse pas les âges. Or, la Bible a été traduite maintes fois et souvent à partir d’une traduction. On ne repart pas de l’araméen et de l’hébreu mais du grec, du latin ou même encore de traductions plus récentes. On sait que des erreurs de traduction se sont immiscées lors de ces processus de traduction. Alors qu’en est-il du texte initial ? De même, la Bible est aussi enseignée oralement mais il est parfois inculqué des choses qui ne se trouvent pas dans la Bible. Il y a la théorie et la pratique. Bref, c’est un sujet fascinant sur lequel l’auteur a totalement fait l’impasse, c’est vraiment dommage.

Mais ce n’est pas tout, la nouvelle vous rappellera un excellent épisode de la série Black Mirror ; les gens sont maintenant équipés d’un logiciel “Memori” qui enregistre tout ce que vous voyez et entendez. Nous savons que le cerveau fabrique ou modifie une partie de nos souvenirs. Ceux-ci ont une valeur émotionnelle indéniable mais ils sont aussi trompeurs dans la “réalité” qu’ils nous offrent. Avec Memori, vous vous verrez tel que vous êtes, les événements apparaîtront tels qu’ils se sont passés. Une dispute avec votre compagnon ? Consultez Memori et montrez-lui qu’il a tort ! Le personnage principal dresse un portrait de lui-même plutôt flatteur jusqu’à ce qu’il utilise Memori et qu’il voit qui il est vraiment. Le choc est rude (pour lui). Un texte riche et intéressant mais malheureusement pas suffisamment développé malgré le potentiel. J’ai trouvé dommage que l’auteur n’aborde pas ce que cela implique pour la criminalité d’une société par exemple.

Le grand silence est un texte de 7 pages, aussi je donnerai des mots en fouillis : perroquet, espace, alien.

Ompahlos est un texte qui propose un monde dans lequel des découvertes archéologiques d’humains, animaux et plantes primordiaux permettent d’étayer la véracité de la Bible et donc l’existence de Dieu. La science et la religion/foi sont tantôt mises en opposition tantôt en adhésion. Un scientifique astronome fait une découverte qui vient remettre en question la foi de notre protagoniste, je vous laisse découvrir pourquoi. Cette nouvelle m’a laissée de marbre car je ne suis pas quelqu’un de spirituel. Lire “Mon Seigneur” à quasiment chaque paragraphe m’a très vite fatiguée (la protagoniste parle à Dieu).

L’angoisse est le vertige de la liberté vient conclure ce recueil. Dans cette nouvelle, les humains ont créé les prismes, des interfaces qui permettent de communiquer avec votre “parallêtre” qui se trouve dans un autre plan de réalité. Les branches des deux réalités diffèrent à partir de l‘activation du prisme et donc de la première rencontre. Cette technologie développe des addictions malsaines, de l'aigreur et de la jalousie. Et si vous aviez fait ce choix plutôt qu’un autre ? Pourquoi mon parallêtre s’en sort-il mieux dans la vie ? Pourquoi a-t-il trouvé l’âme sœur et pas moi ? Vous menez une recherche scientifique ? Activez autant de prismes que possible pour que chaque version de vous mène des expériences sur un aspect différent de votre recherche globale. Votre compagnon est décédé? Peut-être est-il encore vivant dans une autre branche ? Les gens sont prêts à payer cher et les arnaqueurs ou les courtiers en données s’en mettent plein les fouilles.

Cette nouvelle aborde également les thèmes de libre-arbitre et de prédestination mais aussi des addictions.

Conclusion

Ce recueil offre des pistes de réflexions intéressantes que j’ai apprécié explorer. Malheureusement certaines nouvelles sont trop courtes pour être suffisamment marquantes et je n’ai pas été sensible à l’ensemble des thèmes abordés. Prises individuellement, les nouvelles sont soit excellentes soit bof. J’ai donc un avis mitigé sur ce recueil dans son ensemble.

May

J'ai découvert la littérature de l'imaginaire enfant en lisant des mangas (Full Metal Alchemist, Claymore, Fruit Basket, Naruto, etc.) qui me permettaient de m’évader. Puis une camarade de classe m'a un jour prêté la trilogie du Dernier souffle de Fiona MacIntoch. Ça a été la révélation ! Depuis je suis avide de lectures de l'imaginaire et plus particulièrement de fantasy qui constitue l'essentiel de ma PAL.

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