La Ville sans vent - tome 1 - Éléonore Devillepoix

7/1/2021
Fantasy
Illustration : Guillaume Morellec

Résumé

Arka, 13 ans et orpheline élevée par des Amazones, part s’installer à Hyperborée pour y pratiquer la magie librement et retrouver son géniteur qu’elle n’a jamais connu. En parallèle, Lastyanax, 19 ans, qui vient tout juste d’être promu mage, perd son mentor. La mort de ce dernier laisse une place vacante au conseil que le jeune homme convoite, mais son entrée sur la scène politique ne passera pas inaperçue et il va découvrir que la gérance de la surnommée Ville sans vent n’est pas ce qu’il croyait. Les deux jeunes gens dont les situations semblent diamétralement différentes vont pourtant se croiser et faire équipe malgré eux pour déjouer un complot qui menace la ville et tous ses habitants.

Le contexte

De l’arrivée d’Arka à Hyperborée jusqu’à la dernière page, on ne quitte pas cette ville mythique, perdue au milieu de glaciers habités par un mystérieux serpent légendaire qui prédit l’avenir à ceux qui réussissent à le vaincre. La ville est protégée du froid et du vent par un dôme d’orichalque, un métal sensible à la magie. Les mages qui l’habitent ont ainsi les meilleures conditions possibles pour utiliser leur anima, leur magie, qui est sensible au froid. La ville est construite en sept niveaux, du niveau 1 qui est le plus bas, celui de la pauvreté, de la saleté et des petites frappes, jusqu’au niveau 7, celui de la grande aristocratie et du gouvernement. On accède d’un niveau à un autre par des canaux dans lesquels les citoyens circulent à dos de tortues, que l’autrice prend toujours plaisir à décrire (d'apparat, dorée à la feuille d’or, cabossée, vieille et tordue…). Le passage d’un niveau à un autre est possible par des ascenseurs sous la forme de filets qui sont payants. Aller au septième niveau représente une somme quasi impossible à réunir pour les habitants du premier.

Au niveau politique, Hyperborée est une ville souveraine, gouvernée par le Basileus depuis plus de cent trente ans, sa longévité étant inexpliquée pour le peuple. Il est secondé par un conseil de ministres, composé uniquement de mages. Le statut et la position de la ville lui donnent une place toute particulière dans la géopolitique du continent, où elle possède de nombreuses colonies pour subvenir à ses besoins. Les ennemies mortelles d’Hyperborée sont les Amazones, peuple de femmes haïes par le Basileus car responsables de la mort de ses enfants. Cette rancune éclipse tout même la menace que constitue Lycurge, un chef d’Etat ambitieux qui semble vouloir contrôler le continent entier. Un de ses faits d’armes est l’invasion et l’annexion de la Napocie où Arka a vécu avant de devoir fuir.

Notre avis

Tine : Le contexte de La Ville sans vent est fourni et fait plaisir. On y retrouve les traces d’une société moyenâgeuse, dont les différents niveaux d’Hyperborée retracent bien la hiérarchie : les pauvres en bas, dans la saleté, les riches en haut, dans le confort, avec au milieu, les professions les moins reluisantes, les artisans, les bourgeois, les petits nobles et l’aristocratie, jusqu’au septième niveau qui serait l’équivalent de la cour du Roi. On ne visite néanmoins pas tellement ces niveaux intermédiaires. On voyage surtout dans les extrêmes : le rez-de-chaussée et le dernier étage. Mais l’autrice a ainsi créé une société très codifiée où l’ascension sociale est pourtant possible avec du talent et de la chance, Lastyanax en étant la preuve parfaite, passant du niveau un aux plus hautes sphères du pouvoir. La discrimination reste néanmoins très forte. Tout cela est donc un système social très bien mis en place, qui fonctionne parfaitement.

May : L’autrice décrit donc une ville au pouvoir vertical, véritable allégorie de la société inégalitaire avec une concentration des richesses dans un infime pourcentage de la population. Elle dénonce l’élitisme, l’entre-soi et la corruption qui en découle avec un gouvernement complètement déconnecté des niveaux inférieurs. C’est aussi un prétexte scénaristique qui oblige Arka à participer au tournoi du Prix du Basileus, une course à cheval dangereuse dans laquelle les cavaliers arrivent rarement à atteindre la ligne d’arrivée avec à la clé une récompense suffisamment rondelette pour lui permettre de gravir la ville. Par ailleurs, malgré l’aspect merveilleux de la ville, on comprend très vite qu’un certain nombre de choses vont mal. A commencer par Le Basileus qui a tout l’air d’un tyran avec son règne de plus de 150 ans… J’aime cette idée de protagonistes jeunes et fougueux qui viennent bousculer un système poussiéreux et dépassé.

Tine : Au niveau des personnages, je n’ai pas trouvé Lastyanax très attirant au début. Son caractère rigide de génie bougon, fou amoureux d’une vieille amie (et donc bête en sa présence), travailleur de l’extrême, ambitieux pour son jeune âge et froid envers tous, reste constant tout au long du livre, jusqu’aux évènements finaux où, enfin, il fait preuve d’un peu d’humanité. Les différentes tentatives de l’autrice pour montrer son rapprochement avec Arka entre les deux ne m’ont guère convaincue, c’était un peu trop factice. Mais au final, mon sentiment est qu’il est juste un pauvre gars un peu paumé car les événements s’enchaînent trop vite et qu’il n’arrive pas à se défaire de la carapace qu’il s’est construite.

May : Je nuancerai en disant que Lastyanax n’est pas le personnage le plus chaleureux qui soit mais il est toujours bienveillant. Il évolue dans un milieu qui n’est pas vraiment le sien. Issu du premier niveau, il a besoin de travailler d’arrache-pied pour gagner sa place à l’inverse des autres étudiants qui bénéficient de l’influence de leurs parents. C’est sûrement ce qui a forgé son caractère bourreau du travail et distant. Mais il a à cœur d’améliorer les conditions de vie des habitants de la ville. Il est plein de bonnes intentions même si parfois il peut se montrer un peu nul en relations sociales. Mais je suis d’accord avec Tine pour dire qu’on est assez loin d’un personnage charismatique.

Tine : Arka est plus attachante et son parfait contraire : brouillonne, peu portée sur les études, cascadeuse, un peu lente pour comprendre, elle porte un lourd passé qu’elle cache derrière une personnalité mouvementée. Mais je déteste quand les personnages fuient leurs responsabilités. Et pour moi, c’est ce que Arka fait. Donc finalement, Lastyanax et Arka ont échangé leurs places dans mon cœur entre le début et la fin du livre ! Bon, il faut dire que la scène de combat final y est sans aucun doute pour beaucoup. J’ai enfin compris pourquoi il était appelé un génie !

May : Ce genre de personnage féminin tête brûlée est assez à la mode en ce moment, c’est une sorte de Mary Sue mais heureusement pas toujours car elle ne réussit pas tout avec brio, elle triche parfois et surestime souvent ses propres capacités ce qui la met dans la mouise jusqu’au cou ! Elle m’a fait beaucoup rire ! De mon côté, Arka figure toujours à la première place mais c’est vrai que vers la fin, on commence vraiment à apprécier Lastyanax et ça promet pour le second tome ! Arka m’a fait pas mal de peine avec son passé tragique et sa solitude. Elle est touchante.

Tine : Si on parle beaucoup de magie tout au long du livre, à part les objets enchantés et le fonctionnement opératoire de la magie, on n’en voit pas beaucoup… L’autrice se perd en considérations sur les péripéties scolaires d’Arka pendant que Lastyanax piétine dans ses enquêtes et doit faire face au conseil des ministres. Tous deux souffrent de discrimination : trop jeunes, trop incompétents, et surtout d’origine trop peu noble. L’autrice a disséminé plusieurs indices et étapes clefs de la suite du livre dans cette période, mais je n’ai pu m’empêcher de la trouver bien longue.

On en arrive au principal, la trame du livre ! Cet ouvrage n’est pas une quête initiatique, c’est une enquête. Une enquête qui piétine, jusqu’à ce que l’ennemi accepte de dévoiler ses cartes. A la fin du tome 1, on ne sait toujours pas exactement ce que cet ennemi veut, mais il joue sur une malédiction vieille de plus de cent trente ans pour atteindre son but. Le meurtre du maître de Lastyanax, l’arrivée d’Arka à Hyperborée, leur rencontre… tout est lié. Et le mystère s’épaissit… Qui est ce mystérieux ennemi qui semble avoir un pouvoir magique d’une puissance redoutable ? Réponse dans le tome 2, probablement. L’autrice joue avec finesse et des éléments anecdotiques des premières pages se révèlent cruciaux à la fin, le puzzle se met en place pour résoudre le mystère… Le complot prend toute son ampleur…Mais comme il me manque la motivation du “méchant”, je me dis un petit peu: “tout ça pour ça ?” Attention, La Ville sans vent est une super lecture et je vais acheter sans hésiter le tome 2. Mais le tome 1 m’a laissé un peu sur ma faim en termes de réponses sur pourquoi ces évènements arrivent.

May : J’ai trouvé pour ma part que la première partie du livre était assez cousue de fil blanc mais heureusement le final m’a surprise, même si je regrette un peu que l’autrice nous prenne autant par la main pour nous expliquer toutes les machinations de l’antagoniste vers la fin alors qu’on avait déjà deviné tout cela plusieurs dizaines de pages plus tôt… Néanmoins, il y a tellement de rebondissements qui s’enchaînent et le changement de point de vue entre Arka et Lastyanax rend le tout palpitant et difficile à lâcher ! J’ai lu ce tome très vite. A la fin du tome 1, le lecteur se pose effectivement beaucoup de questions sur l’antagoniste qui reste très mystérieux. Mais pour ma part, ses motivations me semblent assez claires : il veut prendre le contrôle d’Hyperborée et redonner vigueur et modernité à l’heure où un deux fois centenaire fou à lier dirige. Mais attention, si ces motivations semblent louables, il emploie des moyens dignes d’un monstre. 

Tine : Et un dernier point, mais May en parlera sûrement mieux que moi, et qui est crucial dans le livre car la base de tout… Les Amazones. Plus cliché, tu meurs. Des femmes désirant des droits, qui ne trouvent rien de mieux que de tuer tous les enfants du dirigeant puis de le castrer avant de fuir la ville… Il y avait d’autres moyens, non ? D’autant plus que la place des femmes dans Hyperborée est loin de s’être améliorée à cause de leurs agissements. Il n’y a qu’une seule femme mage et elle est une contemporaine de Lastyanax. Malgré tout son talent, elle n’a pas accès à la politique. En début d’ouvrage, elle demande à Lastyanax de se battre pour les droits des femmes (contre un service terriblement misogyne et grossier), mais celui-ci se laisse déborder par son enquête et laisse cela de côté. C’est assumé pleinement. Et ça sent le roman qui se veut engagé pour la cause des femmes mais… on passe un peu à côté car au final, rien n’est fait en ce sens, l’intrigue suit son cours sans être dérangée. Pire, les dernières pages sont pleines de préjugés auxquels Lastyanax, s’il leur reconnaît des torts, ne réagit que mollement. Et on passe de nouveau à l’intrigue principale. Je comprends que les auteurs veuillent faire passer des messages importants pour eux dans leurs ouvrages. Mais si je dois être franche, ici, ça tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, un combat dont les héros n’ont que faire et qui n’apporte franchement rien à l’histoire.

May : Hyperborée est une ville misogyne et patriarcale dans laquelle les femmes n’ont aucun accès aux métiers de pouvoir. Tous les mages sont des hommes à une exception près et le gouvernement est entièrement masculin. Les femmes de la noblesse sont mariées à des hommes bien plus vieux qu’elles et font office de monnaie d’échange entre les familles... La fille dont est amoureux Lastyanax, Pyrrha, est présentée comme LA figure féministe de l’histoire mais c’est un personnage antipathique qui n’a même pas coeur à apprendre aux jeunes générations ni à encourager les jeunes filles qui aspirent à devenir mage...vive la solidarité! Cependant elle a le mérite de faire bouger les choses petit à petit pour les femmes de la ville, c’est une pionnière. Mais son comportement comme ses choix laissent parfois à désirer. Par exemple, elle sort avec un jeune homme qui la traite comme un trophée...on se demande bien ce qu’elle fabrique avec. Les amazones dans ce livre sont en effet des caricatures du féminisme...mais Arka précise qu’elles ont changé et que les idées des amazones de cette époque ne sont plus celles d’aujourd’hui. Mais tout de même ce qu’elles ont fait au Basileus est criminel. Bref le féminisme n’est pas présenté sous un jour très flatteur dans ce premier tome mais l’autrice se débrouille quand même pour soulever les multiples inégalités subies par les habitant.e.s. Je trouve juste que ça manque de subtilité. A voir comment cela sera va évoluer dans le tome 2 !

Pour conclure

Tine : La Ville sans vent ne vous décevra pas ! Une couverture magnifique, des personnages un petit peu clichés mais malgré tout assez attachants, une intrigue bien construite et palpitante, des questions, des réponses, de l’action et des cascades, des moments assez énervants pour avoir envie de frapper un méchant, de la magie intéressante (un peu trop absente à mon goût, snif), des tortues en pagaille... Un coup de coeur ? Non, mais presque ! Bon, je vous laisse, j’ai le tome 2 à acheter !

May : Tout à fait d’accord ! Ce roman a été une bonne surprise. J’ai d’ailleurs déjà le tome 2 en ma possession. J’espère qu’il sera aussi bon voire meilleur !

Tine

Quand j’étais petite, je dévorais tous les livres qui me tombaient sous la main. J’ai découvert au collège la littérature de l’imaginaire et suis devenue accro. Mais en grandissant, je suis restée bloquée à la littérature jeunesse, que je consomme toujours avec un plaisir sans égal ! Je fais tout de même parfois quelques incursions dans le monde des adultes, mais j’aime proposer à mon entourage des ouvrages de littérature jeunesse qui, pour moi, dépassent les frontières des âges. Quand on aime, on ne compte pas (le nombre d’années) ! Pour ma part, j’ai lu la trilogie du Dernier souffle au lycée ! Un vrai régal !

Dans le même genre

commentaires